En cette fin d’année 2024, nous apprenons avec la plus vive tristesse le décès de Michel DEBOUT le 18 novembre 2024 à 79 ans
Il a accompagné l’unité de Psychothérapie de Colombes dans sa démarche de prévention des violences et du suicide. Son soutien, son partenariat dans les années 2000 a grandement favorisé notre participation aux travaux de l’UNPS puis de son développement. Entr’actes est depuis membre du conseil administration de cette Union Nationale.

Médecin légiste, enseignant de médecine légale au CHU de Saint Etienne, il disait souvent que la médecine légale est le spécialiste du suicide. En effet la première cause de mort violente est la mort suicidaire, bien avant les autres causes de mort. Les premières situations qu’est amené à rencontrer un médecin légiste sont les morts par suicide. Également psychiatre, il a été amené à créer à Saint Etienne l’un des premiers services d’urgence psychiatrique et dans ce service les situations les plus fréquentes étaient non pas des suicidés, les morts par suicide, mais des suicidants (après une tentative de suicide). Depuis près de 50 ans il s’est ainsi intéressé au suicide dans la double acceptation du terme : les morts et les survivants. Ce qui lui a permis d’avoir un regard assez large sur cette question particulièrement difficile. C’est ainsi qu’il entre, au début des années 1990, au CES (Conseil Économique et Social). Il est nommé à la section des affaires sociales du Conseil, avec en tête la question du suicide.
Depuis sa création le CES, maintenant renommé le CESE (Conseil Économique, Social et Environnemental), a pu traiter d’un bon nombre de questions sociétales, (santé, enseignement, justice, culture, etc.) Le suicide n’y avait jamais été abordé. Quand Michel DEBOUT, à l’aube des années 2000, présente ce sujet, il est, au début, très peu soutenu.
En grande assemblée, les réactions ont été diverses et peu encourageantes : réticences, indifférences, étonnements. Il était évoqué la question du choix individuel, des problèmes philosophiques qui ne feraient pas partie du domaine de compétences de cette assemblée. Pourtant on savait que le suicide est rarement un acte purement isolé, mais qu’il prend tout son sens par rapport à un contexte social, économique et relationnel.
Il convenait donc d’en définir les grandes lignes, d’appréhender le suicide pour ce qu’il est : un problème individuel certes, mais inscrit dans une réalité politique, économique, sociale et environnementale. Cela traduisait bien, le silence, et d’une certaine façon, le tabou autour de la problématique suicidaire, en tout cas dans notre pays.
En 1992 à une voix près, il lui a été confié la rédaction d’un rapport sur le suicide en France accompagné de recommandations d’action et de prévention.
Dès les premières auditions, et les premières écritures, un grand engouement notamment de tous ceux qui avaient quelques inquiétudes à traiter d’une telle question, ou qui n’y voyaient pas a priori d’intérêt à en débattre au sein du CES, se manifeste très rapidement. C’est une question interpellante qui touche chacun individuellement. Car tout le monde peut avoir parmi les siens, parmi ses proches, quelqu’un.e marqué.e, soit par une tentative, soit par un suicide.
On sait bien, en outre, qu’au-delà de la question générale, il y a la question spécifique que chacun peut se poser pour lui-même de sa propre attitude par rapport à la mort, à sa mort et au choix de se la donner ou de disparaitre volontairement. Toutes ces problématiques étaient présentes. Mais une fois que la digue avait sauté les apports en témoignages en intérêts les plus divers ont été très nombreux.
Pendant cette phase de travail a surgi un évènement qui, évidemment, a bouleversé le CES et a marqué profondément la société française : le suicide de pierre BEREGOVOY, personnalité très connue de ce conseil pendant près de 15 années. Il l’avait fréquenté quasi quotidiennement soit comme ministre des Affaires Sociales, soit comme Ministre de l’Economie et enfin, comme Premier Ministre. Effet extraordinaire de mobilisation. La conjonction de cet évènement et des travaux commencés par Michel DEBOUT a fait que ce rapport est devenu l’un des documents les plus lus, les plus commandés du CES et qu’il a finalement marqué cette institution. Michel Debout a alors été appelé à des responsabilités qu’il aurait bien eu du mal à imaginer au démarrage. Très vite, il entraine et amène une dynamique de réflexion et de travail, tant au niveau de la recherche, qu’au niveau de l’action médicale, sociale citoyenne. Il relaye et permet l’ouverture d’un large questionnement politique et institutionnel très remarqué.
Il fonde les Journées Nationales Pour la Prévention du Suicide, les JNPS. Puis dans les années 2000, deviendra le premier président de l’UNPS (l’Union Nationale pour la Prévention du Suicide). Avec un certain nombre de représentants associatifs, de chercheurs et d’acteurs, tous impliqués dans la prévention, Il va mettre un point d’honneur à faire avancer l’idée qu’il est nécessaire de lever le tabou sur le suicide, de pouvoir en parler. Le suicide n’est pas une fatalité. Une prévention est non seulement possible, mais c’est l’affaire de tous, à sa mesure, d’y contribuer, de ne pas laisser l’autre, fusse face à l’inexorable comme nous l’indiquait Lévinas.
La perte d’une vie, au lieu d’être « un achevé solitaire doit laisser la place à de l’inachevé solidaire » Pr Jacques Védrinne, professeur émérite de médecine légale.
Michel DEBOUT a toujours été présent au service d’une communauté attaquée et parfois meurtrie. Il a tenté durant sa vie de contribuer à sa façon au processus de réparation, de restituer des éléments de dignité aux survivants comme aux morts.
L’engagement de Michel DEBOUT dans la prévention repose sur une analyse très perspicace et fine de la notion de choix. Il a fait ressortir la fonction d’essai, de s’essayer à vivre, assouplissant ainsi un « tout ou rien » souvent ravageur et destructeur (la tyrannie mortelle du choix). Il questionnera inlassablement cette notion complexe et si particulière pour chacun. Il insistera sur la perspective de se réessayer à la vie plutôt qu’à la mort.
Il optait délibérément pour un suicide médicalement évité plutôt que médicalement assisté. Le principal élément du rapport était qu’il était urgent de mettre en œuvre une nouvelle politique hospitalière passant par une prise globale décloisonnée c’est-à-dire somatique, psychologique et sociale des suicidants Tel serait le prix pour sortir le suicide du ghetto de la psychiatrisation, ou de l’indifférence.
Outre ses travaux sur le suicide il a été l’auteurs de différents rapports sur les violences au travail ou sur le harcèlement moral au travail, et s’est fortement mobilisé sur les questions de maltraitance à personnes âgées.
Quinze années de compagnonnage, des moments de travail intenses, toujours en mouvement, des réussites importantes de grandes manifestations publiques et internationales réalisées ont parsemé le début de ces années 2000.
Avec nos sentiments attristés
Philippe CARETTE